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15 nov. 2010

Les bonnes idées du Medef pour remettre jeunes et vieux au travail

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Retraites complémentaires à vendre

Vous étiez-vous déjà demandé ces derniers temps si vous toucheriez votre complémentaire retraite à taux plein, sans abattement, si vous partiez à la retraite avant l’âge légal ancien ou nouveau modèle ?

Chérèque et Thibault, (bonjour, Pierre !) conducators impériaux et complémentaires du syndicalisme moderne, décideurs principaux de l’Intersyndicale, après que Chérèque, (également capitaine des pompiers préposé à éteindre les feux citoyens), ait décidé de « passer à autre chose » avec Laurence, vont devoir se la coltiner à nouveau pour tirer les conséquences de la réforme des retraites : le financement des retraites complémentaires par l’Agirc (pour les cadres) et l’Arrco (pour tous les autres salariés) qui sont gérés paritairement par patronat et syndicats. En d’autres termes, l’accord AGFF sera t il reconduit ?

Avant – jusqu’au 31 décembre 2010 - sans la mise en place du dispositif AGFF vous les retraités du secteur privé partant à 60 ans auriez subi un abattement de 22 % sur votre retraite complémentaire (17 % pour une retraite prise à 61 ans, 12 % à 62 ans, 8 % à 63 ans…).

Facteur aggravant, la réforme des retraites vient de passer par là, et l’on attend de voir la suite pour les répliques du tsunami. "Avec notre loi, nous préservons le niveau des pensions." , qu’il a dit, Nicolas. Ah oui ? Rien n’est plus faux, et nous allons vite le vérifier, car on ne peut dissocier, pour apprécier le total de la pension perçue, la somme perçue au titre de l’Assurance Vieillesse et celle des retraites complémentaires.

Or, cette retraite complémentaire par points Agirc/Arrco, dont le prix d’achat du point est indexé sur les salaires et la valeur du point sur l’inflation ne cesse, par ce mécanisme de connaître une érosion du « rendement » des cotisations. Et cela déjà avant la récente réforme des retraites... Qu’en sera-t il après ?

Un accord AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement) permettait de payer les retraites complémentaires avant 65 ans. Il arrive à échéance à fin 2010. C’est bientôt. Comme l’État ne peut y mettre le nez, seuls les partenaires sociaux auront la responsabilité de changer l’eau du bain du bébé qui vient de voir bouger les limites d’âge. Mais comme Laurence et Nicolas, couple indissociable, sont sur le même bateau, elle va devoir ramer à sa place.

Les partenaires sociaux devaient se retrouver le 25 novembre pour ouvrir la négociation dont l’enjeu est de taille, puisque ces retraites complémentaires représentent environ 55 % de la retraite totale des cadres et 35 % de celle des non-cadres. Les syndicats veulent stopper le recul du rendement des cotisations, constant depuis des années, alors que le patronat veut obtenir une baisse de ses cotisations ou à tout le moins une garantie de non-augmentation. Étant entendu que depuis longtemps le MEDEF ne veut plus financer les retraites complémentaires.

Les négociations à venir se résumeront donc à peu de choses : > soit le Medef continue de dire qu’il ne veut plus financer les retraites complémentaires et que l’allongement de deux ans de la prise de retraite lui permettra « d’alléger ses cotisations », > soit le rapport de force l’obligera à augmenter ses cotisations pour que le montant des retraites complémentaires cesse de chuter. C’est presque une lapalissade. Il n’y a pas de voie médiane. Sinon, sans accord sur l’AGFF, les salariés qui partiront en retraite sous l’empire de la nouvelle loi verront leur pension diminuer encore plus. Merci Nicolas. Bien vu.

A mi-novembre, le Medef, avant de donner un nouveau coup de boutoir pour "libérer l’entreprise des contraintes", fait profil bas et va chercher à gagner du temps pour que le mécontentement social s’estompe, et que le gouvernement nouveau fasse détourner les têtes Laurence Parisot, gourmande comme elle est, pateline et sans mémoire, attend déjà « ... du nouveau gouvernement une capacité à établir un peu plus de concorde dans notre pays », « d’atténuer les clivages ». C’est une artiste du looping, elle qui est à l’origine de la réforme de la retraite et des derniers mouvements sociaux ! Tout indique que quelques mois passeront avant que les partenaires sociaux ne négocient. Les syndicats ouvriers feront ce qu’ils veulent, notamment faire défiler le 23 novembre, mais pourquoi feraient-ils ce cadeau au Medef, de ne pas le faire discuter « à chaud », à la date prévue, parce que les salariés demandent aujourd’hui et pas dans six mois, plus de lisibilité et de sécurité pour l’avenir ?

« La seule chose que je n’accepterai pas, c’est qu’on abaisse le niveau des pensions », jurait en janvier 2010 Nicolas Sarkozy. Si, par impossible, « à l’insu de son plein gré » le Président se voit contraint d’abaisser le niveau des pensions à cause du Medef, il restera toujours le groupe de retraite complémentaire Malakoff-Médéric, qui, malin comme un singe ou bien renseigné sur l’endroit de la table où se trouve le gâteau, tablait dès 2009 sur une baisse de 8 % des pensions de retraite et indiquant qu’un « complément d’épargne annuel de 40 milliards d’euros à 110 milliards d’euros en 2020 serait nécessaire pour maintenir le niveau de vie des futurs retraités ». (voir [http://www.politis.fr/IMG/pdf/Projet_CNP-CDC-Mederic.pdf">1]]


- Raphael JORNET
Appel à référendum sur les retraites : bientôt 90 000 signatures !

Occupation du siège de Malakoff-Mederic


De l’argent, il y en a dans les poches de Guillaume Sarkozy !
Pourquoi occuper symboliquement le siège de Malakoff Médéric ?

L’explication est assez simple : Malakoff Médéric, dirigée – est-ce un hasard ? – par Guillaume Sarkozy, frère aîné du président des riches, a déjà préparé l’application de la contre-réforme des retraites…

Cette entreprise, premier groupe paritaire de protection sociale en France, a créé récemment avec la Caisse nationale de prévoyance (CNP Assurances, premier assureur de personnes, qui assure notamment la gestion des régimes Préfon, fonds de pension destiné aux agents de la fonction publique, et Fonpel, fonds de pension destiné aux élus locaux), une société appelée Sevriena, dont le but est de rafler le marché juteux de l’épargne retraite à partir de janvier 2011…

Preuve en est le document confidentiel de mars 2009 disponible sur le site du journal Politis, intitulé : « Projet de regroupement des activités d’épargne retraite et d’épargne salariale de CNP assurance, de Malakoff Médéric et de Quatrem » : « À l’horizon 2020, une baisse du taux de remplacement de l’ordre de 8 % est attendue pour une carrière complète. Cette baisse est toutefois variable selon le niveau du salaire et le profil de carrière […]. Pour les salariés qui auront subi des “trous” de carrière et pour les générations qui prendront leur retraite après 2020, la baisse du taux de remplacement sera plus forte ». Le montant potentiel de collecte d’épargne retraite nécessaire pour financer le maintien du niveau de vie des futurs retraités en 2020 est estimé – dans ce document – à une belle somme « comprise entre 40 et 110 milliards d’euros, suivant les hypothèses de comportement des individus ».

Et encore une fois, comme par hasard, le projet de loi du gouvernement comporte un titre V, peu ébruité par les médias, qui vise à développer la retraite par capitalisation : « Mesures relatives à l’épargne retraite. »

Nous aurait-on encore menti ? La réforme actuelle n’aurait-elle pour but que de faire baisser les pensions par répartition afin d’imposer à ceux qui en auront les moyens de souscrire à des retraites individuelles par capitalisation ? Le calendrier extrêmement bien articulé de la création de la nouvelle entreprise de Guillaume Sarkozy et de la réforme de son frère chef de l’État semble finalement un hasard bien préparé…

Le projet du gouvernement et du patronat (Guillaume Sarkozy a d’ailleurs été vice-président du Medef jusqu’en 2006) est clair : détruire petit à petit le régime de retraite par répartition en baissant le niveau des pensions et en forçant de fait les salariés à avoir recours à la retraite par capitalisation… engraissant ainsi encore une fois des entreprises privées !

Face à la casse des retraites par répartition et au népotisme, ne baissons pas la garde.
Prenons sur les profits pour payer les retraites !
Aujourd’hui à Médéric-Malakoff ; demain on continue !

Confédération nationale du travail (CNT-RP) - Solidaires Paris

Le point de fusion des retraites

Peut-être plus qu’aucune autre, la présente affaire des « retraites » se prête-t-elle à illustrer ce propre des grands conflits sociaux qui est de porter au jour des mécontentements bien au-delà de l’objet circonscrit de la « réforme » en débat. Seul l’élargissement de perspective qui permet de faire entrer le cortège de ces motifs latéraux, et en fait principaux, dans le tableau d’ensemble peut en livrer le sens, celui-là même que les gouvernants se refusent obstinément à voir, bien aidés il est vrai par la cohorte des experts amicaux, eux aussi adeptes de la « réduction technocratique » et surpris de ne rien comprendre à ce qui se passe sous leurs yeux. Si cependant, et pour le malheur de tous ces mal-comprenants, la question des retraites offre une caractéristique singulière, c’est bien celle de faire passer avec une parfaite continuité des questions les plus techniques de la plomberie financière des pensions aux questions les plus politiques des formes mêmes de notre vie sociale – de ce point de vue, on ne pouvait pas mieux, ou plus mal !, choisir le lieu de l’affrontement, selon le degré, au choix, de rouerie ou de bêtise qu’on prêtera aux « réformateurs ».

Une « réforme », mais pour qui ?

Dans une économie sous la domination presque entière de la finance, il ne faut pas s’étonner que le maillon décisif qui fait passer de la « technique » à la politique soit précisément la question de la financiarisation. Il y a davantage lieu en revanche d’être surpris que l’intimité des liens entre la réforme des retraites et « la finance » ne soit pas davantage apparue pour ce qu’elle ne peut pourtant manquer d’être, à savoir une invraisemblable aberration dans une période où, précisément, nous n’en finissons pas d’écoper une crise financière de format séculaire. Par une de ces dissonances cognitives qui disent tout du désordre intellectuel dans lequel vit l’actuel président, il a donc été possible et de menacer la finance, agences de notation en tête, de toutes les foudres de Toulon, et de justifier la réforme des retraites par l’impératif du triple-A de la dette publique française… Mais le spectacle en soi consternant de l’inconséquence d’un président en plein chaos mental ne vaudrait pas une seconde d’attention s’il ne venait souligner par un formidable raccourci – la retraite contre le triple-A – le degré auquel les intérêts fondamentaux du corps social ont été subordonnés à ceux des opérateurs des marchés.

Ainsi par un monstrueux dérèglement dont aucun des habituels curés de la « démocratie » ne semble s’être aperçu, nous assistons à cette situation proprement ahurissante dans laquelle un gouvernement prétendument légitime tente de s’adresser simultanément à deux communautés parfaitement hétérogènes et dont les intérêts sont radicalement antagonistes, à savoir la communauté politique nationale des citoyens et la communauté extra-politique (quoique politique elle le soit mais à sa manière bien à elle) et extra-nationale des créanciers internationaux, le comble du dérèglement venant de ce que, de plus en plus, les arbitrages des politiques publiques sont rendus en faveur de la seconde de ces communautés et contre la première. Dans cette affaire, le spectacle guignolesque d’un pouvoir qui s’aplatit en fait devant les forces qu’il ne menace qu’en mots est quantité négligeable comparé à cette configuration inédite de la politique moderne dans laquelle nous a fait entrer la libéralisation financière internationale. Car on croyait le peuple souverain la seule communauté de référence de l’Etat, son ayant-droit exclusif, l’unique objet de ses devoirs, et l’on aperçoit comme jamais à l’occasion de la réforme des retraites que, contrairement à de stupides idées reçues, le pouvoir politique ne gouverne pas pour ceux dont il a reçu la « légitimité » – mais pour d’autres. Il y a donc un tiers intrus au contrat social et l’on découvre que, littéralement parlant, c’est lui qui fait la loi – et tous nos vœux accompagnent les justificateurs de la « légitimité du mandat » et de ce que « ce n’est pas la rue qui gouvernera », car on se demande bien quelle autre solution il reste, à part la rue à prendre, pour objecter à cette sorte de scandale.

Organisation de la décote et capitalisation rampante

Mais la collision des retraites et de la finance ne s’arrête pas là et envoie de la tôle froissée dans à peu près toutes les directions. Il y a d’abord que la réforme apparente cache (mais si mal) une réforme furtive, et que la réforme véritable ne s’en tient nullement à la réforme plaidée. On admirera donc l’habileté de la manœuvre qui donne pour une défense et illustration de la retraite par répartition une entreprise de promotion particulièrement insidieuse de la retraite par capitalisation. Quelques décennies d’apprentissage ont enseigné aux libéraux la contre-productivité de la « prise de front ». Désormais bien établie, la stratégie de la paupérisation préalable et délibérée des services publics (lato sensu) se montre autrement plus efficace puisqu’il n’est en effet pas de plus sûr moyen de jeter les usagers dans les bras des opérateurs privés que d’avoir auparavant méthodiquement dégradé les prestations des opérateurs publics. Après le service de l’emploi, le transport ferroviaire, la poste, bientôt l’éducation et puis la santé, la retraite n’échappe pas à cette unité de vue stratégique, peut-être même lui donne-t-elle sa plus considérable illustration, mesurée en tout cas à l’aune de ses enjeux financiers – 230 milliards d’euros au bas mot en 2006 tout de même, 420 à l’horizon 2030 dixit le COR [1]. Et en effet : pourquoi risquer de braquer inutilement la population avec des mots qui blessent, comme « capitalisation », quand il est possible tout en jurant la mission de « sauver la répartition », de la faire tomber comme un fruit mûr par de toutes simples mesures d’âge qui instituent la décote comme règle et le taux plein comme exception. Les « réformateurs » comptent bien sur les effets de l’individualisme comme condition solitaire, où chacun par devers soi est abandonné à ses propres calculs, et n’a pas d’autre choix que de composer avec le système tel qu’il s’offre à lui, hors de sa portée. Le plus rigoureux défenseur de la répartition n’en pourra donc mais : constatant le devenir peau de chagrin de sa retraite, et faute de pouvoir payer la sur-cotisation de répartition qu’il appellerait de ses vœux, il n’aura pas d’autre solution pour échapper à la retraite misérable que d’aller mettre, contre ses propres principes, quelques picaillons dans une caisse quelconque… de capitalisation.

En couverture du Challenges du 9 septembre [2], on sent bien qu’Henri de Castries, président d’Axa, et récipiendaire anticipé du pactole de la capitalisation furtive, a beaucoup pris sur lui pour se composer une physionomie calme et responsable et ne pas laisser complètement éclater sa joie. Dans une parfaite démonstration d’indépendance journalistique, Challenges s’offre même à poser toutes les questions rhétoriques désirées par ses invités : « Retraite, comment l’améliorer », symptomatiquement il n’y a d’ailleurs même pas de point d’interrogation puisque la seule réponse possible prend la forme de l’aimable injonction : « D’abord être propriétaire, et souscrire une assurance-vie ».

Une riche idée : financiariser les retraites en pleine crise financière !

C’est signé Henri de Castries mais c’est surtout, à quelques modalités techniques près, la reproduction à l’identique du programme étasunien – la propriété immobilière plus la propriété financière – dont les considérables réalisations n’ont visiblement entamé aucun enthousiasme. Les demi-habiles de la réforme furtive ont donc singulièrement choisi leur moment. Car la promotion, même masquée, de la capitalisation va s’avérer difficile au spectacle de la crise financière et de l’énorme déconfiture des fonds de pension étasuniens. Deux travaux récemment publiés par des économistes du NBER [3], institution peu portée à l’insurrection, jettent un éclairage assez cru sur la situation des fonds de pension publics des états fédérés étasuniens. Le total des engagements non financés des caisses de retraite (capitalisée) de la fonction publique des états atteint… 3300 milliards de dollars. Auxquels il convient d’ajouter 574 milliards de dollars d’impasse financière pour les municipalités et les comtés [4]. Les fonds de pension maison des cent plus grosses entreprises étasuniennes sont pour leur part short de 460 milliards de dollars [5]. C’est que la crise financière attaque les fonds de pension des deux côtés de leurs bilans. Leurs actifs sont évidemment dévalorisés par le plongeon des cours. Mais plus insidieusement, dans le même temps où leurs actifs se contractent, leurs passifs (c’est-à-dire l’ensemble de leurs engagements) gonflent par un effet actuariel lié à la brutale baisse des taux d’intérêt décidée par la banque centrale pour tenter de réanimer les institutions bancaires.

Le lecteur peut s’il le veut faire l’économie de ce passage (un tout petit peu) plus technique. Par définition les fonds de pension souscrivent des engagements de long terme. Or on ne peut valoriser des flux financiers (qu’ils soient à recevoir ou à payer) de la même manière quand ces flux sont très éloignés les uns des autres dans le temps – la « préférence pour le présent » conduira en effet un agent à accorder plus de valeur à un flux financier s’il est très proche dans le temps que s’il est très éloigné. L’actualisation est ainsi la méthode permettant de ramener en quelque sorte à une même unité des flux appartenant à des échéances temporelles différentes. Un flux futur actualisé, ou dit autrement : la valeur dans (ou pour) le présent d’un flux futur, vaut alors non pas sa valeur monétaire nominale mais cette valeur nominale diminuée d’un certain coût d’opportunité égal à ce que le flux considéré aurait rapporté par placement à un certain taux s’il avait été perçu immédiatement. Pour ramener à une même unité des flux étagés dans le temps, l’actualisation leur applique donc une sorte de « taux de change intertemporel » formé à partir du rendement (le taux d’actualisation proprement dit) du placement fictif et, assez logiquement, plus le taux d’actualisation est élevé, plus la valeur (ramenée) dans le présent d’un flux futur est faible. La fixation de ce taux d’actualisation est par nature conventionnelle, or son choix peut être lourd de conséquence, notamment quand il s’agit d’engagements aussi longs et aussi massifs que ceux des fonds de pension.

C’est précisément sur ce point que Rauh et Novy-Marx prennent à revers les évaluations de passifs réalisées par les fonds de pension eux-mêmes. Car ces gros coquins avaient retenu un taux d’actualisation uniforme d’environ 8%, égal au taux de rendement anticipé de leurs actifs sur la période. Or 8% de rendement dans une période de crise financière est une hypothèse qui appartient au monde des rêves. Compte-tenu de la séniorité de la dette « retraites » [6] inscrite au passif des fonds de pension, les auteurs trouvent, non sans raison, plus adéquat d’en actualiser les flux financiers au taux de l’actif sans risque, c’est-à-dire soit au taux des obligations municipales (notées AA+), soit, encore mieux, au taux des bons du Trésor US [7]. Or, par construction, puisqu’il s’agit du taux de l’actif sans risque, donc de l’actif de plus faible rendement, et a fortiori dans le présent environnement de taux d’intérêt très bas, les taux d’actualisation corrigés sont sensiblement en dessous des 8% retenus par la comptabilité maison des fonds de pension… et les passifs ainsi réévalués s’en trouvent tragiquement gonflés (la valeur non seulement actualisée, mais convenablement actualisée, des engagements de retraite à payer par les fonds est passablement plus haute avec des taux d’actualisation entre 1 et 4% qu’avec 8%...)

La situation générale des fonds à prestations définies [8] est tellement dégradée que, par un paradoxe typique de la financiarisation, l’administration Obama a décidé de suspendre la plupart des dispositions du Pension Protection Act de 2006 lui-même pourtant adopté à la suite du krach Internet qui avait déjà fait de sérieux trous et créé une situation de sous-financement généralisée des plus inquiétantes. Mais en 2006 la crise Internet commençait à s’estomper et l’administration (Bush à l’époque) avait décidé qu’il fallait prendre quelques mesures pour sécuriser un système de pensions capitalisées dangereusement fragilisé. Pas de chance : un an plus tard, crise des subprimes… et la capitalisation expérimente les unes après les autres les tares de la financiarisation… dont elle est elle-même l’une des plus belles pièces. Or le Pension Protection Act voté en 2006 pour un commencement d’application en… 2008 imposait aux fonds à prestations définies de viser un taux de couverture de leurs engagements de 100% à horizon de 2013, sous peine pour ceux qui tomberaient au dessous de 80% d’être astreints à des amendes ou de voir leurs cotisations au PBGC [9] augmenter. Las : fin 2009, seuls 10% des fonds de pension public sont pleinement financés, alors que la moitié d’entre eux sont tombés à des taux de couverture compris entre 60 et 80% [10]...

Les entreprises, qui sont en aussi mauvaise posture, n’ont pas tardé à discerner les termes de l’alternative : soit augmenter leurs propres versements à leurs fonds de pension, soit adopter des stratégies de placement plus scabreuses pour augmenter les rendements de l’actif (risques accrus, leviérisation)… soit dépêcher une armée de lobbyistes à Washington pour obtenir la suspension des obligations du Pension Protection Act. Avec le sens des responsabilités que le capital aime plaider à l’usage des autres, c’est la troisième solution qui a fait l’unanimité. Ces messieurs auraient eu tort de se gêner : ils sont tombés sur une administration Obama toute disposée à les écouter – il est vrai que lorsqu’on est jusqu’au cou dans la logique de la financiarisation il n’y a plus que des mauvais choix et s’imposent ceux qui permettent de sauver les meubles à très court terme. Les sponsors de plans DB ont donc gagné une extension à neuf, voire quinze ans de leurs délais de mise en conformité… Quant aux pauvres pensionnés des plans DC [11], eux se débrouilleront comme ils pourront : la dévalorisation des actifs dans lesquels sont investies leurs épargnes-retraite est entièrement pour eux – une étude de l’OCDE suggère que le retournement des marchés a fait baisser le taux de remplacement moyen de 10 points entre 2007 et 2008 [12] à partir de niveaux d’origine déjà très bas. Et comme on voit mal les pensionnés des plans DC, abandonnés à eux-mêmes, compenser ces pertes par des sur-cotisations volontaires en pleine période de récession, il est d’ores et déjà annoncé que bon nombre des salariés étasuniens n’auront pas d’autre choix que de rester au travail (si seulement ils le peuvent) jusqu’à un âge canonique.

Voilà assurément un système de retraites qui a tout pour plaire et l’on ne saurait trop souligner l’à-propos historique du projet de réforme français qui, pour toutes ses dénégations, se propose néanmoins subrepticement d’y conduire, au moment précis où le modèle importé menace ruine. Organiser délibérément l’attrition de la répartition (sous couleur bien entendu de ne penser qu’à la sauver) pour mieux renvoyer les cotisants vers des formules complémentaires de capitalisation privée, en d’autres termes créer artificiellement le problème (du public) pour mieux y apporter la solution déjà prête (du privé), et par là mettre en place toutes les incitations à une substitution de long terme parfaitement silencieuse mais qui aboutira inexorablement à faire transiter une part croissante du financement des pensions par la sphère des marchés, le tout alors que ladite finance des marchés n’en finit pas de démontrer à grand spectacle l’ampleur des destructions de valeur dont elle est capable, voilà une manœuvre qui en dit assez long sur l’aveuglement idéologique du gouvernement présent, ou bien sur son degré de commission aux intérêts de l’industrie financière.

L’ultime verrou de la financiarisation

Mais il y a pire que la perspective de la déconfiture annoncée de la (future) retraite capitalisée. Car la captation par les marchés des retraites n’a pas seulement pour conséquence leur fragilisation financière mais, bien plus profondément, un effet structurel de verrouillage définitif de la libéralisation financière. Par les masses d’épargne qu’elle concerne, la retraite capitalisée pousse l’implication financière du salariat à son comble et, par là même, lie objectivement les intérêts des salariés aux bonnes fortunes de la finance… laquelle prospère précisément de les opprimer. Un sophiste libéral qui passerait par là objecterait sans doute que si les salariés souffrent un peu, les pensionnés qu’ils seront plus tard en profiteront. On lui répondrait d’abord que les appels à la patience pour 40 ans sont bien le propre des nantis d’aujourd’hui (qui font miroiter aux autres leur improbable nantissement de demain). Mais on l’enverra surtout paître en lui faisant observer, expériences désormais suffisamment nombreuses à l’appui, que les fonds de pension DC font et les salariés exploités et les retraités miséreux tout simplement parce que les très nombreux intermédiaires de la division du travail financier se payent sur la bête en prélevant d’effarantes commissions.

Là où les travaux statistiques mesurent les coûts des fonds de pension en proportion du total de leurs actifs, donc compte-tenu de tous les effets de capitalisation, pour aboutir à des ratios très modestes entre 0,75% et 1,5%, la BBC s’est livrée à une enquête beaucoup plus rustique mais combien plus parlante en rapportant les fees prélevés aux sommes versées par les épargnants. S’ils allaient y voir de plus près, les pauvres pensionnés britanniques en auraient les yeux qui dégringolent des orbites à découvrir les proportions phénoménales dans lesquelles se sucrent les principaux gestionnaires de leurs fonds, le pompon revenant à HSBC qui pour 40 années de versements mensuels de 200£, soit un total de 120.000£ (96.000£ plus les avantages fiscaux) se sert sans mollir une commission de… 99.900£, soit un modeste 80% [13] ! L’occasion pourrait incidemment être saisie d’une comparaison avec l’extraordinaire efficacité-coût de la répartition, pourtant réputée ringarde à souhait et promise à être bazardée : c’est que, se passant de l’accumulation financière en organisant directement les transferts redistributifs de la solidarité intergénérationnelle, elle ne supporte que des coûts administratifs proportionnellement très modérés et n’a nul besoin d’engraisser la cohorte des consultants, des stratégistes, des asset managers, des brokers, etc., et toute cette chaîne du parasitisme financier qui vit d’être directement branché sur la fructification de l’épargne.

Mais il y a par-dessus tout que le salariat désormais – et à son corps défendant – mouillé jusqu’aux yeux dans la logique des marchés voit se fermer toute possibilité d’entrer frontalement en conflit avec la finance pourtant l’instance de toutes ses oppressions. Gageons qu’ainsi caparaçonnés de l’indestructible alibi des pensions, spéculation, plus-values et bonus vont devenir autrement plus faciles à défendre que par les anciennes contorsions qui devaient sans cesse inventer de nouvelles histoires racontant les bénéfices pour la croissance de la libéralisation financière. A tous les amis de la mondialisation qui ont vécu pendant trois décennies sur le maigre viatique argumentatif de la « compétitivité » pour opposer une fin de non-recevoir à toutes les demandes de progrès social, ne sera-t-il pas mille fois plus aisé désormais de renvoyer dans les cordes le moindre projet de desserrer l’emprise de la finance en y voyant un attentat à la retraite des vieux ? Et – ce sera le pire – non sans raison.

L’idée de faire prendre les pertes financières par les actionnaires et les créanciers lors de la prochaine crise, se heurtera inévitablement au fait que les actionnaires et les créanciers de dernier ressort ne sont autres que d’ordinaires salariés impliqués dans la finance par le truchement de leurs fonds de pension et de leurs fonds mutuels. Si par ailleurs il est exact que le sérieux d’un projet de régulation se mesure aux diminutions de rentabilité qu’il fait connaître aux institutions financières [14], comment penser l’arraisonnement de la finance quand ces réductions de rendement seront intégralement transmises à l’épargnant final qui ne sera plus exactement le prototype du possédant auquel on a envie de faire rendre gorge ? Telle est donc la perversité intrinsèque du capitalisme financiarisé, amorcée avec toutes les escroqueries de l’épargne salariale mais portée à son comble avec la captation des retraites : par un diabolique effet de court-circuit, le salariat se trouve placé aux deux extrémités de la chaîne, ainsi devenue boucle, et le schème linéaire du face-à-face du capital (financier) et du travail perd toute consistance pour s’évanouir presque complètement : bien sûr les salariés continuent d’être sous l’emprise de la contrainte de la finance... mais en fait de la « finance », abstraction intermédiaire puisqu’en bout de ligne, la « finance »… c’est eux ! Le fond de private equity qui entre dans telle entreprise pour la restructurer au yatagan ou le fond de pension qui en exige un redressement de rentabilité des capitaux propres n’est pas le bout de chaîne, le clair ennemi de classe. Car il lui est toujours possible d’exhiber ses mandants ultimes, d’ordinaire invisibles par un effet de dissémination mais susceptibles d’être « montrés » à tout instant pour les besoins de la justification, petit peuple de salariés-épargnants totalement ignorants de ce qui est fait de leurs avoirs, et par là d’ailleurs exclusivement (et compréhensiblement) concernés par la rentabilité de leurs placements – et tant pis si c’est l’entreprise de leur voisin qui est restructurée, de toute façon ils ne le sauront pas.

Il n’y a pas à aller chercher très loin les admirables collisions que peut produire cette logique perverse du refermement contradictoire sur lui-même d’un salariat fracturé par son implication financière. Ce printemps n’a-t-il pas vu l’opinion britannique s’insurger des pénalités dont le gouvernement étasunien a menacé BP ? C’est qu’en effet le cumul des amendes anticipées et des coûts de nettoyage du Golfe du Mexique a divisé par deux le cours de l’action BP… à la très grande fureur des retraités anglais loin des flaques de mazout – car BP est un poids lourd de l’indice Footsie et l’un des plus importants supports des pensions britanniques ! Sous le prétexte bien fondé des retraites capitalisées, les entreprises n’ont donc plus guère de mouron à se faire : elles peuvent exploiter tout leur saoul, polluer autant qu’elles veulent et pactiser avec n’importe quelle junte sans plus avoir besoin de payer un rapport de Bernard Kouchner.

Voilà donc le simplissime secret de ce qu’on pourrait appeler l’économie politique de la financiarisation : à quoi la finance carbure-t-elle en effet sinon… à l’épargne ? Et d’où viendra majoritairement l’épargne une fois les masses énormes des pensions jetées dans la bataille sinon… des salariés eux-mêmes ? Collectivement opprimés à leur frais comme salariés alors qu’ils essayent tous de défendre individuellement leurs intérêts comme pensionnés ! N’est-ce pas là manœuvre d’une suprême rouerie ? – et l’on comprend qu’Henri de Castries se morde l’intérieur des joues pour ne pas hurler de jouissance. La grande, l’immense intelligence stratégique du capital financier c’est de s’être retiré du rapport d’antagonisme frontal pour laisser se refermer sur elle-même la boucle salariale-épargnante et n’apparaître plus que comme un « simple » intermédiaire. Evidemment c’est le « modeste intermédiaire » qui organise tout le jeu, se branche sur sa circulation et se goinfre au passage, mais rien n’est plus simple que de renvoyer les éventuels récalcitrants à la contradiction objective des mandants fracturés, salariés sur-exploités par les pensionnés, pensionnés menacés par les salariés. Sitôt poussé cet ultime, et en fait décisif, verrou de la retraite financiarisée, quel espace resterait-il à des propositions de « réduction de la finance », comment seulement envisager une mesure comme le SLAM [15] dont la finalité est précisément de limiter par voie réglementaire et fiscale la rémunération des actionnaires quand, en bout de ligne, les actionnaires sont les futurs pensionnés ?

Voilà donc la finance sanctuarisée dans tous ses compartiments et au moment précis où tout devrait conduire à l’arraisonner brutalement : la finance des produits de taux – celle des subprimes et des dérivés de crédit… – qu’il deviendra « impensable » de réguler puisque réguler (sérieusement) c’est attaquer la rentabilité, et la finance actionnariale, pour les mêmes raisons génériques, mais avec pour particularité que cette finance-là, vivant sur le dos des entreprises, fait directement ses profits par la productivité des salariés, donc très concrètement par l’intensification sans limite de leur travail et la compression continue de leurs salaires. Si lointaine qu’elle semble parfois – le fonds de private equity est à New York ou le fonds de pension à Los Angeles quand l’entreprise est en Haute-Savoie – la finance actionnariale n’en est pas moins celle que les salariés ont à connaître de plus près parce qu’elle est celle qui pèse le plus directement sur leurs conditions d’existence. Celle-là à son tour devient intouchable. Et si, contre toutes les absences du commentaire médiatique ordinaire, il faut sans cesse rappeler ce que doit par exemple le triste destin des salariés de France Télécom à la privatisation, c’est-à-dire au passage sous logique actionnariale, il faut aussi imaginer ce proche avenir dans lequel les « rationalisateurs » n’offriront plus le visage grimaçant des mercenaires de la « création de valeur pour l’actionnaire » mais pleurnicheront d’humanisme que tous ces sacrifices, sans doute bien douloureux, n’ont pas d’autre sens que le devoir sacré des retraites maison à verser – et bientôt peut-être d’en appeler à la « solidarité », puisque le capitalisme n’a jamais fait l’économie d’une obscénité.

Sur-fusion, révolution ?

C’est en ce point précisément que tout vient se nouer. Car l’injustice intrinsèque de la présente réforme fait inévitablement coalescence avec la menace d’arrière-plan d’une destruction planifiée de la répartition, c’est-à-dire la mise à mort de l’un des principes fondamentaux de la société française d’après-guerre, mais aussi la promotion annoncée de la financiarisation définitive alors même que la crise en condamne absolument l’idée, le rejet d’un travail devenu épuisant, et pour certains haïssable, à force de pressions productives… celles-là mêmes que l’onction donnée par pensions interposées à la finance actionnariale va rendre inattaquables, peut-être même porter à un plus haut point encore.

Installés dans un parfait confort d’existence et tout à la jouissance du sort que leur fait un ordre social auquel ils n’ont décidément rien à redire, les pédagogues de la réforme feignent de ne rien comprendre, et probablement ne comprennent-ils rien vraiment, à cette sorte de sur-fusion où devait immanquablement conduire l’attaque des retraites. Aussi tombent-ils des nues, protestent-ils qu’on ne cesse de parler « d’autre chose » que du sujet imposé et tentent-ils de dénoncer comme confusion, pour mieux les discréditer, la variété des motifs de colère qui s’expriment en ce moment. Mais la confusion n’est pas du côté qu’on croit, et ce que ces tentatives de discrédit veulent faire passer pour des amalgames sans pertinence procède en fait des rapprochements les mieux fondés : à beaucoup, le travail est devenu insupportable, du fait même de la soumission de l’économie aux logiques de la finance, promises à l’éternité quand la répartition aura été méthodiquement détruite. L’emprise de la finance a rendu la vie de beaucoup de salariés odieuse. Comme si ça n’était pas suffisant, la capitalisation rampante en fera de même avec celle des pensionnés. La finance renflouée aux frais du public, fauteuse de récession, commanditaire de l’austérité, aussi arrogante que toujours, bonus en bandoulière, attend confiante la chute du pactole des retraites. Est-ce que par hasard ça ne commencerait pas à faire un peu beaucoup ?

Le capital, dont Marx rappelait qu’il était incapable de résister à l’appel de « ses intérêts les plus bornés et les plus malpropres », s’est donné avec Sarkozy le fondé de pouvoir le plus visible, le plus caricatural et le plus détestable – quand le choix de nos amènes socialistes étaient d’une bien meilleure rationalité stratégique de long terme : ceux-là n’ont-ils pas fait avancer la cause du capital dans une parfaite tranquillité au seul prix d’avoir à trémoler régulièrement « justice sociale » et « égalité » entre deux trains de déréglementation (et ne s’offrent-ils pas d’ailleurs à reprendre du service sur le même mode exactement) ? Mais voilà où mène l’hubris des possédants : à tout vouloir ils risquent aussi de tout perdre. La volonté de puissance déboutonnée par trois décennies leur a donné à croire qu’ils n’avaient plus à admettre de borne à leur désir d’accaparement et que Sarkozy était bien l’homme de cette situation-là. Mais la retraite est peut-être leur « pont trop loin », où se mêlent tout à la fois le refus d’une réforme inique, le rejet d’un pouvoir politique insupportable, mais aussi le dégoût absolu du spectacle de la finance, la contestation frontale sinon du capitalisme lui-même du moins de sa forme présente, et pour finir la défense d’une certaine forme de vie. On pouvait difficilement faire plus magistrale erreur de tir. Tragique erreur dans le choix des mots, dont Gérard Mordillat qui signe la préface d’une réédition du Capital [16]) donne a contrario l’exacte formule : « La France n’a pas besoin de réformes, elle a besoin d’une révolution ».

Notes

[1] Conseil d’orientation des retraites (COR), en milliards d’euros 2006 dans la prévision de 2007.

[2] Challenges, n° 223, 9-15 septembre 2010.

[3] NBER : National Bureau of Economic Research. Robert Novy-Marx et Joshua Rauh, “The Risks and Liabilities of State Sponsored Pension Plans”, Journal of Economic Perspectives, vol. 23, n° 4, 2009 ; “The Crisis in Local Government Pensions in the United States, Working Paper.

[4] Le travail de Rauh et Novy-Marx examine 77 plans de pension de 50 agglomérations et comtés majeurs. Pour ne couvrir que 3% des plans municipaux, ils n’en concernent pas moins les 2/3 de la fonction publique municipale. Ces 77 plans de pension présentent une impasse financière (excès des engagements à payer sur la valeur des actifs réalisables) de 383 milliards de dollars, qui par extrapolation (sur la base de l’impasse moyenne par pensionné calculée pour les 77 plans) conduit à une impasse de 574 milliards de dollars pour la totalité du système des pensions municipales.

[5] John Detrixhe, « “Silent Heart Attack” for Pensions Driven by Yields », Bloomberg, 14 septembre 2010.

[6] La séniorité désigne le caractère prioritaire d’une dette. Plus une dette est « senior » plus elle vient haut dans la hiérarchie des créanciers d’une institution.

[7] Et en fait dans les deux cas à partir de la courbe des taux.

[8] Les fonds de pension dits « à prestations définies » (defined benefits, DB) sont les fonds de pension maison des entreprises (ou des entités gouvernementales, fédérales ou locales). Comme leur nom l’indique, ils s’engagent sur un certain niveau des pensions. Ils sont par conséquent les porteurs des divers risques de dévalorisation (des actifs) et de revalorisation (des passifs) et c’est à l’institution (l’entreprise ou l’administration) qu’il appartient d’ajuster ses propres versements à son fonds de pension pour y faire face. Par opposition, les fonds de pension dit « à contributions définies » (defined contributions, DC) ne s’engagent sur aucun montant de sortie de la rente capitalisée et renvoient le risque aux pensionnés eux-mêmes qui réajusteront leurs propres versements ou bien se débrouilleront avec une retraite amputée. Depuis le milieu des années 70, les entreprises étasuniennes ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour se débarrasser de leurs fonds de pension DB en les transformant en fonds DC externalisés, notamment sous le statut dit 401(k) – le gouvernement ayant béni cette conversion à l’aide de substantielles exemptions fiscales.

[9] Le PBGC, Pension Benefit Guaranty Corporation, est l’agence (para)gouvernementale d’assurance des pensions.

[10] Center for Retirement Research.

[11] Voir note 8.

[12] Pablo Antolin, « Private Pensions and the Financial Crisis : How to Ensure Adequate Retirement Income from DC Pension Plans », Financial Market Trends, OECD, vol. 2, 2009.

[13] BBC Panorama, « Customers losing thousands on pension fees, commissions », 4 octobre 2010, les informations ont été livrées par les fonds eux-mêmes au CFEB (Consumer Financial Education Body), 21 des 24 principaux fonds sollicités ont répondu, et si HSBC se distingue, il est suivi de près par exemple par Co-Op Individual Personal Pension (96.000£ de commissions) ou Legal&General (61.000£).

[14] Voir Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, éditions Raisons d’agir, 2008, et « Après la crise financière : réguler ou refondre ? Les insuffisances des stratégies prudentielles », Revue de la Régulation, n° 5, 2009.

[15] Voir « Une mesure contre la démesure de la finance : le SLAM », Le Monde diplomatique, février 2007.

[16] Karl Marx, Qu’est-ce que le capitalisme. Volume 1 : les mystères de la plus-value, préface de Gérard Mordillat, Demopolis, 2010.

Les bonnes idées du Medef pour remettre jeunes et vieux au travail

La réforme des retraites à peine digérée, une nouvelle offensive se prépare sur l’emploi des jeunes et des seniors. Le Medef vient de publier un rapport de l’Institut Montaigne qui liste 15 propositions pour en finir avec la « rigidité inadaptée » des CDI ou du droit du travail. Un rapport qui passe sous silence la question cruciale de la répartition des richesses. Selon le think tank d’inspiration néo-libérale, si les jeunes souffrent particulièrement du chômage et des inégalités, c’est la faute aux principes de solidarité mis en œuvre après 1945. Décryptage.

Le Conseil constitutionnel vient tout juste de rendre un avis favorable sur la loi allongeant l’âge de départ à la retraite, et le mouvement de révolte sociale s’est à peine attiédi, que le Medef repart tranquillement à l’assaut du « pacte de solidarité » hérité de 1945. L’organisation patronale a discrètement mis en ligne, le 26 octobre, un rapport de l’Institut Montaigne avançant « 15 propositions pour l’emploi des jeunes et des seniors ». L’Institut Montaigne ? C’est un laboratoire d’idées créé en 2000 par Claude Bébéar, ancien PDG d’Axa. Ce « think tank » se déclare « dépourvu de toute attache partisane ». Mais il est financé par quatre-vingt grandes entreprises, parmi lesquelles Areva, Barclays, BNP-Paribas, Bolloré, Bouygues, Dassault, Ernst & Young, LVMH, Sanofi-Aventis, SFR, Total, Vinci, Veolia... Des structures absolument pas « partisanes » et qui se gardent bien d’exercer une quelconque influence sur les politiques et le sens de l’intérêt général.

Que trouve-t-on dans ce rapport ? Le constat peut être globalement partagé. Le taux d’emploi des jeunes de moins de 25 ans et des plus de 55 ans demeure, en France, désespérément bas. Les jeunes connaissent une précarité « alarmante ». Près d’un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Un sur trois décroche un premier job après plus de deux ans et demi d’interminables recherches. Les possibilités d’accès à la formation professionnelle pour les plus de 40 ans sont méconnues et très largement insuffisantes. Au cours d’une carrière, le « plafond de verre » est quasiment incassable pour qui n’a pas eu la chance, ni les moyens, d’intégrer le système très français des grandes écoles. « Le fossé générationnel s’est désormais creusé entre les « Baby-boomers », qui bénéficient d’une des retraites les plus longues du monde, et la « génération chômage » née dans les années 1980 », assène l’Institut Montaigne. C’est indéniable.

Du passé faisons table rase

Mais qui est donc responsable de ce déprimant tableau ? Les grandes entreprises qui, d’un côté, recourent abusivement aux stages, et de l’autre se débarrassent de leurs salariés de plus de 55 ans à la moindre occasion ? Non. Les exonérations sociales et fiscales – 172 milliards d’euros en 2010 ! – dont les sociétés du CAC 40 usent et abusent sans créer d’emplois (et au détriment des PME qui, elles, ont créé des emplois malgré la crise) [1] ? Non plus. Les discriminations que subissent les jeunes, diplômés ou non, issus de nombreux quartiers populaires ? Pas du tout. La quasi absence de représentativité des nouvelles générations au sein des instances démocratiques nationales (seuls 4% des députés français ont moins de 40 ans…) ? Aucunement.

Le coupable, c’est le « pacte de solidarité » mis en œuvre au sortir de la Seconde Guerre mondiale. À savoir : la Sécurité sociale, l’assurance chômage, la retraite par répartition, la semaine des 40h, la création du salaire minimum, une certaine forme de démocratie sociale… Tout cela ne doit pas être rénové, amélioré, rendu plus juste. Pour l’Institut Montaigne, ce pacte « non seulement ne contribue plus à assurer la cohésion sociale mais il la menace. Dangereusement. » Plusieurs obstacles hérités de cette époque révolue et entravant l’emploi doivent donc être levés. Et ils sont nombreux.

Transformer les CDI en CDD

Le sacro-saint CDI d’abord. Pour de nombreuses personnes, il est synonyme d’un minimum de stabilité et de garantie dans ce monde dérégulé. Un jeune qui décroche le sésame peut enfin se projeter au-delà de quelques mois, envisager de chercher un logement par exemple, ou rêver à quelques projets personnels. Pour l’Institut Montaigne, le CDI est au contraire synonyme de « rigidité inadaptée ». Il est donc proposé de le rendre plus « flexible » (proposition n°9). En gros, d’en faire un CDD – ce dernier serait supprimé – sans la prime de précarité. Ce contrat plus flexible permettra aux employeurs de changer unilatéralement la nature du poste, les fonctions, la rémunération ou encore le temps de travail. L’entreprise pourrait ainsi congédier un salarié à l’issue d’une mission soi-disant indéterminée… Et ce, sans contrepartie financière.

« Actuellement, il n’est pas possible de rompre un CDI pour un motif autre qu’économique », déplore l’Institut. Qu’on le rassure, c’est tout à fait réalisable, encore faut-il payer les indemnités légales prévues par le Code du travail ou la Convention collective. Autant d’horreurs, aux yeux des auteurs du rapport, qui menacent la cohésion sociale : « La France s’illustre par un droit du travail particulièrement contraignant, qui crée des effets de seuil sécurisant pour ceux qui sont du bon côté de la barrière ». Conclusion : faisons passer tout le monde du mauvais côté au nom de l’équité.

Côté salaires, les experts de l’Institut Montaigne n’estiment pas « qu’il serait juste de baisser le salaire fixe ». Ouf ! On est presque rassuré. Mais le répit est de courte durée : « La hausse continue des salaires tout au long de la carrière professionnelle », à cause de l’ancienneté, est un frein à « l’attractivité des seniors ». À défaut de baisser les salaires, comment ne pas les augmenter ? Très simple. Il est proposé de généraliser, pour « les postes de management », les rémunérations variables qui viendraient compléter un salaire fixe (proposition n°6). On appelle ça des primes individuelles, dont le fonctionnement est souvent discrétionnaire. Et on sait les conséquences néfastes que peuvent provoquer ces primes individualisées uniquement fixées en fonction d’objectifs quantitatifs, dans les centres d’appel par exemple : baisse de la qualité au profit de la quantité, ventes forcées ou abusives, mise en compétition permanente des équipes, soumission au supérieur hiérarchique, stress, mal-être... Généraliser ce système, ça promet !

44 ans de cotisations

C’est loin d’être tout. L’institut demande la suppression pure et simple de l’âge légal de départ à la retraite (proposition n°14). Et l’allongement à 44 ans, d’ici 2020, de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein (actuellement fixée à 41 ans à partir de 2012). Le rapport préconise également que le malus – la décote - appliqué aux pensions des salariés qui n’auraient pas assez cotisé, soit alourdi, passant à 7% par an. Actuellement, la perte est de 1,25 % à 2,5 % par année de cotisation manquante (ce qui en fait déjà l’une des décotes les plus fortes d’Europe). Bref, pour le laboratoire d’idées, « choisir le moment de sortie de la vie professionnelle selon ses besoins et selon ses moyens », cela signifie travailler 44 ans en CDD permanent avec des salaires très variables.

Car la retraite, comme les études, sont considérées comme des temps morts. Le think-tank suggère de développer « l’employabilité tout au long de la vie ». Le travail en alternance et l’apprentissage doivent se généraliser dans l’enseignement secondaire et supérieur (propositions n°1 et 2). Histoire que les étudiants apprennent davantage de compétences utiles pour les actionnaires, plutôt que des savoirs pas vraiment rentables à court terme, et susceptibles d’aiguiser l’esprit critique.

Les élèves apprentis seraient payés avec « de vrais salaires à temps partiel » sans que l’on sache ce qui, pour les chercheurs de l’institut, constitue un « vrai salaire » (un Smic ? Un salaire de directeur de l’Institut Montaigne ?). En parallèle, la taxe d’apprentissage payée par les entreprises doit être supprimée, mais l’État est invité à verser une allocation de 300 euros par mois pour compléter les « vrais salaires » des élèves apprentis. Ou comment transformer 2,2 millions d’étudiants en main-d’œuvre à bas coût au nom de la lutte contre le chômage, et aux frais de l’État…

Les pesants silences de l’Institut Montaigne (et du Medef)

Les animateurs du laboratoire d’idées assurent utiliser une « méthode d’analyse et de recherche rigoureuse et critique ». Pourtant, leurs recherches passent plusieurs faits sous silence. Si le « pacte de solidarité » qui a assuré la prospérité de la France pendant un demi-siècle s’est, selon eux, transformé en lourde menace, ce serait principalement à cause de la démographie : « Tout le problème est ce que ce modèle se heurte aujourd’hui à une situation démographique radicalement différente de celle qui l’a vu naître », les « actifs » – 41% de la population – supportant « la double charge des études et des retraites ». Exit la question du partage des richesses.

Selon la Commission européenne et l’Insee, la part des salaires dans la valeur ajoutée – la richesse produite – des entreprises a considérablement baissé en trente ans [2]. Cela signifie un niveau de salaire moyen qui reste bas (moins de 1.500 euros nets pour les ouvriers et les employés) et des dizaines de milliers d’emplois non créés, au profit d’une meilleure rémunération du capital. Si les augmentations de salaire liées à l’ancienneté constituent un frein, ce n’est aucunement le cas d’une hausse continue des dividendes versés aux actionnaires (196 milliards d’euros de dividendes en 2007, contre 40 milliards en 1993). D’ailleurs, l’Institut Montaigne n’en parle pas. Dans les 110 pages du rapport, le mot « actionnaire » n’existe pas.

Autre silence : les dispositifs d’exonérations fiscales dont bénéficient – inégalement – les entreprises. « Au total, les dispositifs dérogatoires fiscaux et sociaux applicables aux entreprises, entendus au sens large, représentent plus de 172 milliards d’euros en 2010 », pointe le récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Soit dix-sept fois le déficit actuel des caisses de retraite ! Le nombre de ces dispositifs est passé de 44 en 2005 à 64 en 2010. Plusieurs d’entre eux sont censés avoir été mis en place pour favoriser, directement ou non, la création d’emploi. Étrangement, l’Institut Montaigne n’en tire aucun bilan.

Quand le travail se résume à l’employabilité

Plus étrange encore, plusieurs constats présents dans le rapport – et essentiels pour expliquer la situation actuelle – ne débouchent sur aucune proposition. L’institut déplore ainsi une certaine défiance des jeunes et des seniors à l’égard du travail. Les premiers n’en font pas leur priorité, les seconds font tout pour en sortir dès qu’ils en acquièrent le droit. « La détérioration sensible des conditions de travail, le manque de reconnaissance et de considération, la perte d’une ambiance sereine et conviviale engendrée notamment par la course à la rentabilité et à la performance, le stress physique et psychologique, enfin de fortes incitations à cesser l’activité professionnelle expliquent pour l’essentiel ce phénomène de sortie prématurée du monde du travail », détaille le rapport. Puis, plus rien. Comme si l’apprentissage, des contrats de travail plus flexibles et une durée de cotisations plus longue allaient résoudre ce problème pourtant central. Aucune remise en cause du fonctionnement des entreprises. On ne mord pas la main qui vous nourrit.

Pour les inspirateurs du Medef, cette aggravation du mal-être au travail est peut-être due, elle aussi, au « pacte de solidarité » de 1945. Ne serait-ce pas cette archaïque Sécurité sociale qui permet trop facilement aux salariés de se déclarer malade ou d’être victime d’un accident du travail, ce qui bloque indument un poste de travail ? Nous suggérons une 16ème proposition : supprimons la Sécurité sociale définitivement !

[1] Lire l’enquête à ce sujet publié dans Libération du 10 novembre 2010.

[2] De 74,2 % en 1982 à 65,8 % en 2006, soit un recul de 8,4 points, selon l’Insee. De 66,5 % en 1982 à 57,2 % en 2006, soit une baisse de 9,3 points, selon une étude de la Commission européenne.

Le rapport de l’Institut Montaigne est téléchargeable à cette adresse

À gauche poubelle, précaires rebelles

Exclus ? Perclus ? Forclus ! Travailleurs précaires, à temps partiels imposés, à horaires flexibles, à bas salaires, à Contrats à Durée Déterminée, intérimaires, saisonniers, vacataires, stagiaires, intermittents, retraités à faible revenu, étudiants et lycéens sans ressources : nous n’existons pas. Le gouvernement a décidé que nous n’existions pas. Il est plus facile de faire croire que le seul problème de la société française est « le sort dramatique des chômeurs de longue durée » dont on propage une vision misérabiliste, archaïque et pour tout dire folklorique, à coup de reportages sur l’Armée du Salut et de gros chiens qui regardent leur maître avec des yeux infiniment tristes. « De braves gens » qui occupent les ASSÉDIC « par désespoir » ou parce qu’ils sont « manipulés » par des forces obscures. À qui profite une telle image du mouvement des chômeurs et des précaires ? À tous ceux qui veulent croire que des mesures caritatives en viendront à bout, que la réponse à apporter à la crise de l’Etat-Providence est de faire mijoter de grosses marmites de soupe populaire et de distribuer des coupons-sports pour les vacances. L’État est dans son rôle lorsqu’il se drape du voile de la « solidarité nationale » : en bon capitaliste collectif, il cherche en toute logique à maintenir les profits et détruit des garanties salariales arrachées par des décennies de luttes.

La loi sur l’exclusion présentée au Parlement s’inscrit dans la lignée du projet de loi de cohésion sociale, jadis proposée par Juppé et consorts. C’est encore une fois de coercition sociale qu’il s’agit. La précarité généralisée est gérée par une pauvre loi pour les pauvres, une loi qui distribue quelques aumônes, subventionne les employeurs et vise à renforcer le contrôle des salariés précaires et chômeurs. Charité, assistanat aux patrons et contrôle social toujours plus raffiné sont les trois axes majeurs de cette loi. Elle n’est un progrès que pour les tenants du social-libéralisme européen prôné par Jospin, Blair, ou Schröder. Quant à ceux, associations humanitaires ou caritatives, qui la jugent simplement « insuffisante », ils ne font que défendre leur raison d’être : la gestion philanthropique et plus ou moins lucrative de la misère. Pour nous, elle est l’expression pernicieuse et brutale d’une idéologie du travail dont le capital s’est toujours servi comme d’une arme. Lorsque Jospin dit que la société doit être fondée sur le travail et le refus de l’assistance, cela signifie que les visites domiciliaires, les radiations, les convocations vont être multipliées. À la répression qui a frappé nombre d’actions collectives ces dernières semaines, il faut, pour les tenants de l’ordre social, adjoindre un renforcement du contrôle de tous ceux qui passent par le chômage. Telle est la réponse d’un gouvernement qui sait maintenant devoir compter avec un mouvement, avec des formes d’existence collective qui ne lui épargneront pas le conflit sur ces enjeux centraux relevant de la gestion de la vie par l’État.

Nous ne voulons plus entendre et encore moins laisser passer un discours de solidarité qui prend les pauvres comme alibi pour faire baisser les salaires et aggraver la précarité. Nous ne voulons pas d’une baisse du chômage qui passe par toujours plus de boulots sans intérêt, un développement vertigineux de l’intérim, des jobs sous-payés et la flexibilité contrainte. Inventons des formes d’autodéfense sociale à la mesure de l’oppression diffuse organisée par ces technocrates gauche caviardeuse et leur collaborateurs ex-soixante-huitards, experts en contrôle des mouvements sociaux.

Si chômeurs et RMIstes sont le plus souvent exclus du salaire direct et dépendent de diverses formes de salaire social (allocs, RMI, etc.) parce qu’ils ont un rapport fluctuant à l’emploi, ils sont résolument inclus dans la production de richesses : il n’y a aujourd’hui plus de frontière solide entre temps de travail et temps de vie, plus d’opposition possible entre salariés chômeurs et salariés précaires. Les chômeurs et les précaires qui se forment, utilisent et inventent mille machines productives, tous ceux-là ne reçoivent qu’une aumône misérable ou même carrément rien du tout en échange de leurs multiples implications dans une production de richesses qui ne se borne pas à la production de marchandises. Ils n’ont pas la chance de Lionel Jospin qui, lui, a bien eu droit à un salaire du Ministère des Affaires Étrangères de 1993 à 1997 alors qu’il était « en disponibilité ». Comme il l’a répondu à ses accusateurs le 20 mai 1998 à l’Assemblée Nationale, il a pu profiter de ces années « payé à ne rien faire » pour « agir et faire ». Curieusement, le Premier Ministre n’a pas songé à se définir alors comme « un assisté social » et a rejoint avec une spontanéité touchante les chômeurs, scolarisés et précaires qui réclament eux aussi la reconnaissance des formes de production hors-emploi dont ils sont les acteurs ; des moyens d’échapper à la pauvreté, de résister à la précarité de l’emploi, de mettre en œuvre de nouveaux projets, bref, qui exigent le salaire social qui leur est dû.

CARGO (Collectif d’Agitation pour un Revenu Garanti Optimal).

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CARGO en deux mots (1999)

Plein emploi jospinien : le turbin sans les talbins (septembre 1999)

Notre insertion contre la leur ! (1998)

Exploiter, atomiser, contrôler les invisibles (1997)

Nos amies les miettes, Interventions radiophoniques, échantillons : Dany le duck ; Sartre, Fernandel, Otis ; Cac et les 40 voleurs ; Indicatif AC ! rap ; INFO-G-M ; Lettre à Mr le Préfet (longue) ; Lettre à Mr le Préfet, chanson trash ; 12 Auto-dénonciations ; Visiteuse de la CAF

Nous sommes tous des inter-mutants du spectacle ! (1996)

Tous à la campagne ! (octobre 1996)

De la misère critique à la critique de la misère, ressassements pour un parcours possible

Prendre l’initiative pour un statut de salarié, revendiquer un revenu garanti ! (juin 1996)


Le choix de publier ce texte, issu d’un collectif des années 90 créée lors de la lutte victorieuse contre l’instauration d’un "contrat d’insertion professionnelle" (CIP), en mars 1994, participant à AC !, intervient au moment ou le "travailler plus" de la réforme des retraites a été l’occasion d’un mouvement social inédit qui a fait du blocage de l’économie sous diverses formes un outil de mise en cause pratique de la temporalité capitaliste (travail/contrôle).

On le sait, la gauche instituée a elle-aussi pour fonction de faire suer le burnou, d’organiser la mise au travail. N’est-ce pas elle qui en 1988 instaurait un RMI interdit aux moins de 25 ans ? N’est-ce pas Aubry, ex bras droit du patron du CNPF (l’organisation patronale qui a précédé le Medef), qui trouvait il y a quelques semaines naturel et logique que l’âge de la retraite à taux plein soit reculé "puisque la durée de vie augmente", sans rien dire de l’augmentation de la productivité, ni de celle de la richesse disponible ? N’est-ce pas Jospin qui a crée un COR (Comité d’orientation des retraites) destiné à légitimer la rationalité comptable qui préside à la "réforme" des retraites, et, par là, à l’organisation de la société des vainqueurs, de la réussite et du fric ? Un grand ami du socialisme, Séguala, le publicitaire de Mitterrand, ne nous a-t-il pas dit que réussir sa vie supposait d’égaler Sarkozy, c’est à dire de posséder au moins une Rollex ? Si cette gauche s’avisait aujourd’hui de continuer ce qu’elle a commencé à faire, courant après son électorat, en faisant mine d’appuyer des exigences sociales à l’occasion du conflit sur les retraites, elle aura à faire le bilan de son action en la matière et à clarifier ses positions.

Nous sommes en effet de nouveau à la veille d’une énième réforme de l’assurance-chômage. C’est par une telle réforme que la refondation sociale patronale à débuté en 2001, avant d’être suivie par la réforme des retraites et celle du chômage des intermittents, en 2003, avec l’appui de la CFDT.

C’est depuis plus de trois décennies que le chômage sert une politique de précarisation (la première réforme régressive des droits des chômeurs vient ponctuer, en 1979, une restructuration capitaliste entamée en 1973, sous le signe de "la crise", au sortir de 68).

La grève des chômeurs, le mouvement qui vient d’avoir lieu et dont les liens transversaux cherchent aujourd’hui à se prolonger, à durer (cf. la création d’une Maison de la grève à Rennes), pour être en mesure d’être offensifs, ont aujourd’hui à affronter cette épreuve. Il ne s’agit pas de se caler ou de dépendre du calendrier étatique mais bien de vérifier un accord, de constituer des forces afin de ne plus subir.

La manifestation du samedi 4 décembre à Paris, organisée à l’appel des mouvements de chômeurs des années 90, peut-être préparée par une série d’actions locales afin de la préserver d’un défaitisme et d’une propension victimaire dont le tract ci-dessus permet, pour partie, de découvrir les causes, et par là d’identifier la principale d’entre elles : la gangrène d’un travaillisme commun à diverses forces sociales et politiques par ailleurs "opposées".

Que mille collectifs fleurissent sur les décombres du plein emploi !

Intermittents - Assemblée Générale, lundi 15 novembre à 18h30 au Théâtre l’Échangeur.

Intermittence et précarité, conférence de presse avec Jean-Luc Godard, Bunker du festival de Cannes (2004)