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Il serait bien hasardeux, en ce mardi matin parisien de grisaille et de bruine, de prédire l’avenir du mouvement social qui ébranle notre pays. Au point où nous en sommes, l’affaire est surtout psychologique. Les nombreux salariés qui se mobilisent, comme les jeunes, lycéens ou étudiants, ne puisent plus seulement les raisons de leur combat dans le caractère injuste de la réforme. C’est aujourd’hui le discours gouvernemental qui alimente principalement leur colère. Un discours de défi et de mépris que François Fillon a illustré jusqu’à la caricature, dimanche soir sur TF 1 : l’examen de la réforme « ira à son terme au Sénat » et « la réforme sera votée », a-t-il répété, machinal. Le propos eût été recevable si le débat parlementaire avait réellement eu lieu, et s’il avait été précédé d’une véritable réflexion menée avec les représentants du mouvement social. Mais, depuis le début, le gouvernement traîne le boulet de cette double impasse démocratique. Si bien que tout est mensonge. Impassible et impavide, notre Premier ministre avait, dimanche, l’affect d’un porte-parole du Kremlin à la grande époque brejnévienne. Sans trouble apparent, il a pu ainsi redire que « de nombreux gestes avaient été faits au Parlement », notamment sur la pénibilité. Et qualifier « d’escroquerie » l’idée d’une plus forte taxation du capital. Ce qui glace les os, c’est la répétition des mots. Ce gouvernement résiste comme une phalange.
MM. Chatel, Bertrand, Fillon, Woerth, pour ne citer qu’eux, prêtent leurs masques à une pantomime. Ils sont comme fondus dans un personnage unique, récitant sans cesse un texte écrit dans une langue qui leur est étrangère. Les arguments sont redits avec les mêmes accents et les mêmes pesanteurs. Seule peut-être, au milieu de ce chapelet, Christine Lagarde, sans trop déroger non plus à la loi commune, risque parfois un mot qui lui appartient. La robotisation de ces personnages est impressionnante. Elle en dit long sur la nature du régime, et la crainte qu’inspire leur chef à ces soldats de plomb. Il est vrai que nous sommes en période de remaniement ministériel, et cela depuis déjà quatre mois. Ce qui n’est pas fait pour stimuler les audaces. Plus personne ne croit ni n’écoute. Leur parole ne vaut plus tripette. À cet égard, les sondages sont édifiants. Après un week-end au cours duquel les ombres gouvernementales ont couvert tous les médias audiovisuels, le soutien au mouvement social n’a pas varié d’un iota. À 71 %, ce qui est considérable.
D’expérience, les salariés qui sont aujourd’hui dans la rue savent ce que vaut ce discours bravache. Les très anciens se souviennent du mythique « Lip, c’est fini ! » du Premier ministre de Georges Pompidou, le légionnaire Pierre Messmer. Le conflit avait duré plusieurs mois après cette prophétie volontariste. Beaucoup plus près de nous, on se souvient d’Alain Juppé, « droit dans ses bottes » face à la grève du secteur public de décembre 1995, et de l’inflexibilité de Dominique de Villepin dans la défense de son CPE, en 2006. Droit dans ses bottes, Juppé avait plié d’un coup face à la résistance des salariés du secteur public, et Villepin, l’inflexible, avait rompu tout aussi brusquement devant la mobilisation étudiante. Le discours de François Fillon relève de la guerre psychologique. Comme les dénégations sur l’approvisionnement en carburant, qui semblent inspirées par la chanson de Ray Ventura : « Tout va très bien Madame la Marquise ! » Nous savons que, du jour au lendemain, le déni de réalité peut revenir comme un boomerang sur le gouvernement.
Mais il ne faut pas négliger non plus un autre facteur déjà évoqué ici, et qui peut donner au conflit une exceptionnelle dureté. MM. Juppé et Villepin n’étaient pas des ectoplasmes. L’abandon de leurs réformes était leur défaite, pas celle du « roi fainéant » drapé dans la majesté de sa fonction à l’Élysée. Comment imaginer cette fois qu’un recul sur la réforme des retraites serait la défaite d’un François Fillon ou d’un Éric Woerth ? C’est bien Nicolas Sarkozy et lui seul qui est dans le collimateur du mouvement social. Et c’est toute sa politique. La mobilisation de la jeunesse n’a pas d’autre sens. Ce n’est plus seulement une réforme des retraites directement inspirée par le Medef qui est visée, mais tout ce que représente le sarkozysme [1]. C’est tout autant la démagogie du discours de Grenoble et de la loi Besson. D’où la violence de M. Hortefeux, qui en est à dépêcher ses bataillons de CRS aux portes des lycées et des dépôts de carburant. Le dérapage n’est pas loin. On retrouve là tous les traits du sarkozysme : sa faible appétence pour la démocratie et un culte quasi pathologique du rapport de force.
Il est possible, après les manifestations de ce mardi, que l’on entre dans une autre phase du conflit, moins contrôlée et moins contrôlable au niveau des confédérations. Plus dépendante des fédérations et des syndicats de base. Et de ces millions de salariés et de jeunes qui se sentent humiliés par le mépris gouvernemental. Quoi qu’il advienne dans les prochains jours, Nicolas Sarkozy aura déchiré un peu plus le tissu social de notre pays. Il aura exacerbé un peu plus les frustrations et les ressentiments. On ne gouverne pas à ce point contre tout un peuple.
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