Invité de France Inter ce matin, Marcel Gauchet - historien et philosophe – posait le problème d’une autre façon. Selon lui «le conflit des retraites est le problème de l’avenir par excellence». Une immense crise d’incertitude se fait jour parmi les manifestants. Ces dernier demandent aux politiques de les rassurer sur ce que sera la société en 2030, 2040 mais les politiques ne leurs opposent que l’échéance qui les intéresse, c'est-à-dire 2012 et les élections présidentielles.
Cette « anxiété sociale » n’est pas prise en compte par les politiques qui confisquent le débat. «Ces problèmes ne peuvent être résolus que par une délibération collective plus large que celles des parlementaires. Les parlementaires, une fois élus, n’ont pas à débattre seulement entre eux.» De plus, ce débat sur les retraites ne peut avoir lieu sans une certaine pédagogie vraisemblablement absente dans le gouvernement. La réforme des retraites est trop complexe pour que la population débatte des termes techniques (ajustement financier, législation sociale, etc.). L’évolution de la société nécessite de reposer de grands principes. L'inventeur du terme de « fracture sociale » constate que « la technique gouvernementale dans ce cas précis consiste à nous embrouiller en mélangeant la technique et les principes ». « La solution se trouve dans le dialogue entre politiques et opinion mais nous ne savons pas faire ça en France ». Effectivement l’empressement du gouvernement à faire voter la réforme n’est pas synonyme de débat populaire. Jean-Pierre Raffarin confirmait d’ailleurs ce matin, au micro de RTL, le vote de la réforme par les sénateurs dans la journée ou au plus tard cette nuit.
Cette confiscation du pouvoir par nos représentants, censés agir dans nos intérêts, est perçue comme une « dérive oligarchique » par le philosophe. Dans toutes les démocraties, ces oligarchies sont pilotées par des « élites ». Dans notre société, celles-ci opèrent une fracture entre les instruits et ceux considérés comme non instruits. Cette forme de pouvoir engendre des sociétés profondément inégalitaires alors même que sont prônées les valeurs démocratiques. Marcel Gauchet explique que la période est spécifique au retour des anciens régimes qui s’accompagne d’une hiérarchie sociale. Le non instruit est considéré comme un archaïque, « vous ne savez rien, laissez nous faire ». En laissant faire, ces gens travaillent ensuite dans leurs propres intérêts. « On passe donc d'une élite à une oligarchie. »
Concernant la radicalisation du mouvement, Marcel Gauchet apporte une autre analyse que celle servit par la majorité qui se plait à agiter le mouchoir de la France « prise en otage » par une minorité de contestataires. Prétextant ainsi le clivage entre la rue et l’opinion pour faire passer leurs mesures comme la réquisition cette nuit de la raffinerie de Grandpuits, symbole de la contestation. Selon lui les mouvements de masses - dont la grève générale est le mouvement suprême - sont en net recul depuis plusieurs années. Les syndicats représentent aujourd’hui à peine 8% des salariés. Les masses ayant disparues, elles ont laissé place à des groupes centrés sur leurs propres intérêts. Pourtant elles ne sont pas coupées du reste de la population. Il s’étonne même que celle-ci s’accommode parfaitement des opérations de blocages, grèves ou autres actions revendicatrices.
Il explique en partie cela par le fait qu’il existe en France une « tradition de radicalisation politique d’avant-garde ». On remarque une « légitimité absolue conquise par le principe selon lequel chacun défend ses intérêts. » Lorsque la population se dit favorable au mouvement, sans pour autant adhérer aux idées ou aux actions entreprises (telles que les blocages par exemple), elle considère comme légitime le fait de manifester si ces personnes se sentent lésées. Pour Marcel Gauchet, « les blocages font vraiment partis du paysage aujourd’hui car c’est une forme d’expression normale dans le débat des acteurs. ».
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